Pouvez-vous revenir sur l’histoire du projet et du bateau Charente-Maritime ?
Nous avions construit ce programme deux ans auparavant, c’était un petit budget, avec le soutien du président du conseil départemental de l’époque, Josy Moinet, d’une banque régionale, le Crédit Mutuel, et de TBS. Nous avions aussi été aidés par de nombreux bénévoles, nous étions un peu dans le même état d’esprit et le même schéma que le projet de Mor Bihan qui avait été monté quelques années auparavant sur la Whitbread. C’est un bateau que nous avions construit pendant l’hiver 1981-1982, à plusieurs entreprises - le second de ma société après le premier Royale de Loïc Caradec, un trimaran. Charente-Maritime était un bateau très original, dessiné par Michel Joubert et Bernard Nivelt. Ce dernier avait fait avec nous La Rochelle-La Nouvelle-Orléans un an avant, si bien qu’il avait procédé à quelques modifications, il avait notamment légèrement réduit la taille du mât et la surface de voilure. Son point fort, c’est qu’il était très léger [6 tonnes, pour 20 mètres de long et 10,40 mètres de large, NDLR], avec un rapport déplacement-surface de voilure très favorable qui lui permettait d’aller très très vite au portant.

Comment s’est passée votre préparation ?
Nous avions déjà gagné La Rochelle-La Nouvelle-Orléans avec ce bateau en 1982, nous avions aussi bien marché juste avant sur le Trophée des Multicoques en terminant deuxièmes. Nous étions assez prêts au départ, même si notre préparation avait été assez courte, parce que nous étions des purs amateurs. Si bien qu’avec Pierre Follenfant, nous n’étions pas forcément cités parmi les favoris qui donnaient plutôt Marc Pajot avec son fameux Elf-Aquitaine [vainqueur de la Route du Rhum l’année précédente, NDLR]

Quels souvenirs gardez-vous de la course ?
Il y a eu pas mal de vent d’ouest au moment du départ, nous avons été assez prudents dans les premiers jours, nous sommes rentrés dans la course tranquillement et comme il y a eu assez vite pas mal de casse - Marc Pajot a démâté, Eric Tabarly a eu des soucis - nous nous sommes retrouvés dans le peloton de tête à mi-course - nous étions déjà contents de voir que de notre côté, nous n’avions pas cassé ! Ensuite, comme notre bateau était bien au point et qu’avec Pierre les choses se passaient bien, nous avons réussi à prendre de plus en plus nos marques, je pense que nous sommes passés aux Bermudes pas très loin d’Eugène Riguidel et de son immense William Saurin. Nous nous sommes alors arrêtés mais en restant en mer, car nous avons entendu des bruits dans le safran. Ensuite, au portant, nous étions confiants parce que nous avions vu lors des précédentes courses que nous allions très vite, c’était vraiment le point fort du bateau. Nous avons alors décidé de monter un peu plus nord dans la grande houle d’ouest, nous allions indiscutablement plus vite et nous sommes finalement parvenus à passer devant William Saurin à une demi-journée de la fin de la course.

Vous souvenez-vous de l’ambiance qui régnait à Lorient avant et après la course ?
Oui, cela a été une très grosse fête à Lorient, avec énormément de monde sur les pontons à Lorient et au large, à la pointe du Talud, à la sortie des bateaux. Nous étions dans une période où ces grands bateaux de course au large commençaient à attirer beaucoup de public, il y avait en outre un très bon plateau avec toutes les stars de la course au large de l’époque au départ. Au retour, nous avons eu la chance d’arriver le soir, au soleil couchant, des bateaux étaient venus à notre rencontre, la remontée du chenal et l’arrivée à Lorient ont été formidables.

Cette victoire vous a-elle apporté une forte notoriété ?
Oui, mais nous étions un bateau très collectif, nous ne voulions pas être des stars, notre objectif n’était pas de faire de la course au large notre métier, ce qui nous intéressait, c’était la mise en avant du projet dans sa globalité et de la Charente-Maritime. Moi, je construisais des bateaux, Pierre Follenfant avait une occupation professionnelle dans le monde de la chaussure. Ce qui ne nous a pas empêchés de continuer à naviguer. L’année suivante, nous avons eu Charente-Maritime 2, un bateau de 25 mètres tout neuf, et nous nous sommes bagarrés pour la victoire sur Québec-Saint-Malo avec Loïc Caradec sur son nouveau Royale, qui nous a devancés de quelques minutes, j’ai aussi disputé La Baule-Dakar en 1987 (5e place).

Le bateau, en revanche, a eu une destinée funeste…
Oui, parce qu’après cette transat en double, le bateau gagne La Baule-Dakar avec Philippe Pallu de la Barrière, puis il part aux Antilles. Et, au moment de le ramener en France par cargo, la sangle qui le lève se casse et il s’effondre sur le quai de Fort-de-France…

Comment accueillez-vous la renaissance de cette Lorient-Les Bermudes-Lorient ?
Je trouve que c’est très bien de faire renaître ce très beau parcours. A l’époque, nous étions sur des bateaux qui commençaient à aller vite, avec des journées à 12-13 nœuds de moyenne ; là, nous sommes sur une autre planète en termes de préparation physique et technologique, c’est impressionnant. J’irai sans doute voir le départ avec les copains, car nous avons gardé des liens forts avec l’univers de la course au large.

Vous êtes maire de La Rochelle, la ville aurait-elle vocation à accueillir de nouveau ce type de course pour des grands bateaux ?
C’est un dossier compliqué, car si le port de La Rochelle se prêtait bien pour des multicoques de taille moyenne comme les premiers Charente-Maritime et Royale, aujourd’hui, ce ne serait pas possible, puisque les portes du bassin de La Rochelle font 16 mètres de large, alors que les bateaux mesurent plus de 20 mètres de large. Ensuite, il faudrait qu’une opportunité se présente dans un calendrier international déjà bien rempli, ce n’est pas si simple. L’an prochain, nous aurons tout de même la Mini-Transat, qui est un temps fort à La Rochelle. Et avec Grand Pavois Organisation, nous organisons également Le Défi Atlantique, une course retour de la Route du Rhum pour les Class40.