Une première rencontre, ça marque forcément. Celle entre Gilles Gahinet et Eugène Riguidel résume finalement assez bien le personnage, facétieux et doté d’un grand humour : « Je crois que la première fois que je l’ai vu, c’était aux Régates de Moustérian, dans le golfe du Morbihan, se souvient Eugène Riguidel. Il avait gagné en Vaurien et moi en plate en V. Un tirage au sort était organisé entre les vainqueurs pour le premier prix, une annexe Sportyak, et c’est moi qui avais décroché le lot du vainqueur. J’étais en train de discuter, quand je vois mon Sportyak se barrer, remorqué par Gilles, avec sa bande de gai-lurons de Larmor-Baden ! ».

Un gai-luron, c’est aussi le souvenir qu’en garde Gilles Le Baud qui rencontre Gilles Gahinet au début des années 1970 à La Trinité-sur-Mer. Ce dernier est alors prof de technologie à Saint-Cyr-L’Ecole, en région parisienne, et ses parents résident à Larmor-Baden. Il se mêle peu à peu à une bande de copains, composée notamment d’Eugène Riguidel, de Jean-Yves Cariou, des Lunven, mais aussi du docteur Jean Le Rouzic et de Gérard d’Aboville. « Gilles avait un humour décapant, c’était un fan absolu de San Antonio dont il adorait reprendre les expressions », raconte Gilles Le Baud. La petite troupe aime (beaucoup) faire la fête, mais se retrouve aussi sur l’eau pour des régates d’entraînement qui permettent à chacun de progresser. Et particulièrement Gilles Gahinet, qui vient du Finn, mais est novice en habitable.

« Il avait une incroyable finesse de barre et était très fort sur les réglages, mais aussi très inventif : il adaptait ses plans de pont, il innovait beaucoup », poursuit Gilles Le Baud. Eugène Riguidel confirme: « Gilles était un très bon technicien, il m’a beaucoup aidé dans la préparation de mes bateaux ». Un très bon technicien qui va se prendre de passion pour le large, et spécialement pour la Course de l’Aurore - devenue ensuite Solitaire du Figaro -, à laquelle il va participer onze fois de suite. La première en 1974 sur l’ancien bateau de… Gilles Le Baud : « J’avais vendu mon plan Harlé, avec lequel j’avais gagné L’Aurore un an plus tôt, à des propriétaires que j’avais mis en relation avec Gilles. C’est avec ce bateau qu’il s’est lancé sur la Solitaire ».

Un fonceur, passionné de régate et d'architecture navale

Gahinet termine 8e. Suivront six podiums et une quatrième place en sept ans ( !), dont deux victoires, en 1977 et 1980. La seconde fois, il l’emporte sur Port de Pornic, un half-tonner Cesma (jauge IOR) qu’il a lui-même dessiné. Car le prof de techno s’est très vite intéressé à l’architecture navale, devenant un grand spécialiste des half-tonners : « Il les appelait ses trapanelles, mais je peux vous certifier qu’ils marchaient très bien », sourit Gilles Le Baud, lui-même double vainqueur de la Solitaire.

En 1979, l’ami Eugène Riguidel fait appel à Gilles Gahinet pour disputer la première édition de Lorient-Les Bermudes-Lorient sur le trimaran VSD. On connaît la suite : dans les courreaux de Groix, les deux compères, après avoir dû s’arrêter aux Bermudes pour une succession de pépins techniques, finissent par déposer Paul-Ricard du tandem Eric Tabarly-Marc Pajot pour s’imposer avec 5 minutes et 42 secondes d’avance. « Cette victoire nous a encore davantage soudés, raconte Eugène Riguidel. Nous avons ensuite pas mal vagabondé, entre conférences, plateaux de télé, fêtes… Nous avons aussi écrit un livre [Deux pour vaincre, éditions Robert Laffont, NDLR]. Si je devais d’ailleurs garder une image de Gilles, c’est celle de l’arrivée à Lorient avec le trophée : on le voit rire de bon cœur, c’était un type d’une gaîté extraordinaire. »

Gilles Le Baud garde à l’esprit un autre souvenir : « Je le revois, avec sa moustache et ses grosses lunettes, au volant de sa vieille 4CV sous des trombes d’eau entre Saint-Cyr-L’Ecole et La Trinité, il roulait à tombeaux ouverts, c’était un fonceur ». Un fonceur dont la trajectoire ascendante sera brutalement stoppée, à 37 ans, le 10 octobre 1984, par un cancer, que, jusqu’au bout, il gardera secret. « Il n’en avait parlé à personne, je pense que seule sa femme Martine était au courant », se souvient Eugène Riguidel. Comme beaucoup, le premier vainqueur de Lorient-Les Bermudes est heureux de voir son fils Gwénolé Gahinet, né quelques mois avant sa disparition, s’inscrire dans les pas de son père : « Comme Gilles, il fait du solo, a couru en Figaro et sur un grand maxi avec Francis Joyon, il se passionne aussi pour l’architecture navale. Il a le même talent et la même passion ». Un Gwénolé Gahinet auquel Gilles Le Baud, quand il a décidé de recourir la Solitaire du Figaro à 2013, a tenu à offrir… un San Antonio.